Portrait du mois Avril 2022
Les programmes doctoraux structurés sont un élément central de la qualification et de la promotion des jeunes scientifiques. Des standards de qualité élevés en matière de sélection et d’encadrement des doctorants et un environnement de recherche international sont les éléments qui contribuent à l’attractivité de ces programmes et qui créent des conditions de départ idéales pour une intégration académique et sociale réussie au profit des candidats étrangers.
Soufiane Chinig du Maroc a pu se démarquer avec succès à l’Université libre de Berlin (Freie Universität Berlin) : parmis 130 candidats du monde entier et lors d’un processus de sélection à plusieurs étapes, il a été élu avec un autre candidat pour le programme de doctorat. Depuis janvier 2021, il fait des recherches à Berlin sur le changement des cultures des jeunes suite aux processus du printemps arabe.
- Pouvez-vous expliquer brièvement vos questions de recherche centrales à notre public ?
Writing on Kingdom Walls : An ethnographic comparison between Morocco and Jordan
Mon projet de recherche porte sur une étude comparative des expressions murales et artistiques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. En prenant le cas du Maroc et la Jordanie, je tente de questionner différentes formes d’expression des jeunes, telles que les écritures sur les murs, les fresques murales et le graffiti. Étant donné qu’écrire ou peindre quelque chose sur un mur implique déjà une revendication importante à partir d’une certaine réalité ; mon étude examine le rôle de ces expressions murales, leur place dans la société et comment elles impactent la vie politique.
J’essaye de répondre aux trois questions principales. Premièrement, quelles sont les expériences sociales que les formes d’écritures et de peintures murales expriment-elles et que partagent-elles éventuellement ? Deuxièmement, j’examine la manière dont les écritures murales et la peinture murale sont pratiquées vis-à-vis des discours légaux et légitimes dans les deux pays. Cette question essaye de traiter les rapports des forces politiques derrière la production du Street art ainsi que ses représentations et ses dimensions sociales, culturelles et religieuses.
La troisième échelle concerne la question des frontières et de la géographie imaginaire (Said 1978). Mais loin d’une dichotomie « Ouest-Orient », je m’intéresse à comprendre comment les graffeurs et les muralistes expriment et traduisent le Maghreb et le Mashreq (Afrique du Nord et Moyen-Orient) dans leurs travaux en essayant de savoir comment ces écritures murales et peintures déterritorialisent et reterritorialisent les frontières géographiques entre l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient ?
- Quelles étaient vos attentes lorsque vous avez commencé votre doctorat ? Lesquelles se sont avérées plus fausses, lesquelles ont probablement raison ?
Le but était de m’inscrire dans un programme doctoral pluridisciplinaire et apprendre d’une tradition anthropologique qui a pour focus les sociétés dites « musulmanes ». L’idée c’est d’avoir un échange avec des doctorants et des professeurs de différents départements afin de découvrir les discours et les expériences anthropologiques dans une université « occidentale ». Pour moi, l’Allemagne en général, et the Berlin Graduate School for Muslim Cultures and Societies (BGSMCS) offre une diversité remarquable. Vu qu’il y a beaucoup de chercheurs qui viennent ou qui travaillent sur le « monde Arabomusulman » avec une perspective comparative, qui m’aide à développer un double critique, comme l’avait formulé Abdelkbir El Khatibi.
Je trouve qu’être un doctorant à Berlin avec une formation initiale au Maroc est une occasion intéressante pour moi pour faire une réflexion sur la production du savoir anthropologique d’une manière qui dépasse les frontières géographiques et les identités figées. Concrètement, je m’engage dans un débat anthropologique et sociologique initié et lié à « l’école marocaine » des sciences sociales ainsi que l’école francophone à travers le français, qui est la langue d’éducation supérieure au Maroc et « l’héritage scientifique » de la période coloniale.
D’un autre côté, le programme doctoral à la Freie Universität Berlin m’engage dans un autre mode de pensée, que ce soit par la hiérarchie académique et historique liée à la production du savoir ou soit par la tradition et la langue universitaire. Si au Maroc la langue Arabe, la langue française et la décolonisation de l’héritage coloniale étaient des discours qui ont forgé ma formation académique, aujourd’hui je me trouve à l’opposé scientifique et géographique. En Allemagne, d’un côté il y a une tradition ethnologique qui a sa propre histoire épistémologique, et d’un autre côté la langue anglaise qui donne accès à tout un monde scientifique anglophone ce qui implique que ma positionnalité et mon habitus académique sont en train de s’élargir et d’intégrer de nouvelles perspectives.
- Qu’est-ce qui vous a particulièrement aidé à vous installer au début de votre séjour en Allemagne ?
Ce qui a facilité mon installation en Allemagne c’est ma position en tant que doctorant et l’environnement pluriel et cosmopolitique. J’ai pu avoir tous les documents dont j’avais besoin grâce à l’appui de l’université. Avant d’arriver à Berlin, j’ai bénéficié de cours de langue allemande, ce qui m’a aidé mener des conversations de la vie quotidienne. Concernant mon installation, mon université offre des facilités pour d’hébergement proche à l’université. Au lieu d’attendre deux ou trois semestres, passer à travers le service FU Accommodation la rendait facile. Mon arrivée à Berlin coïncidait avec un confinement sévère à cause de l’épidémie du Covid19, mais malgré ces conditions j’ai pu m’installer sereinement dans de bonnes conditions à la Berlin Graduate School.
- Comment vous est venue l’idée de postuler au programme GSSP ?
Postuler à ce programme n’est en fait qu’une suite logique d’un processus entamé il y a plusieurs années au Maroc. Ayant grandi dans une ville avec une réalité sociale très compliquée, j’ai toujours été intrigué par les forces qui impactent une société notamment la mienne, ce qui m’a poussé très jeune à chercher des réponses dans les livres d’histoires, d’anthropologie, sociologie, ethnologie, théologie, philosophie… Quand j’ai obtenu mon Master en Sociologie et Anthropologie de la Ville de l’Université de Mohammedia en 2017 c’était une évidence.
L’idée de postuler au programme Graduate School Small Programme (GSSP) m’est venue à travers mon programme doctoral BGSMCS. J’ai commencé en octobre 2020 grâce à une bourse octroyée par le programme dans le je me suis inscrit. Après 6 mois, j’ai eu une discussion avec le coordinateur et l’un de mes collègues pour postuler au GSSP, parce que cette bourse offre plusieurs avantages surtout pour ceux qui effectuent un travail de terrain ailleurs. Avoir un financement de quatre ans pour faire ma thèse est une grande chance pour la plupart des doctorants, au moins en Allemagne.