Portrait du mois Novembre 2022
Dr. Abdallah Nassour est maître de conférence à l’université de Rostock, et a proposé aux apprenants allemands une conférence sur le thème de l’économie circulaire durable. Nous l’avons interrogé sur son expérience dans ce domaine au Maghreb :
Docteur Nassour, vous travaillez depuis de nombreuses années dans le domaine des déchets et de l’économie circulaire dans la région MENA. En Algérie, vous avez accompagné la création d’un master. Comment fonctionne exactement la coopération académique internationale dans ce domaine ?
L’université de Rostock coopère avec les pays de la région MENA dans le domaine de la gestion des déchets et des flux de matières depuis 1999. Le DAAD, les programmes Alumni ainsi que les programmes de soutien du ministère allemand de la Coopération pour le développement y ont largement contribué. Les universités ont toujours joué un rôle important dans le développement de réseaux locaux et la mise en œuvre de projets sur place, par exemple nous sommes déjà actifs en Tunisie depuis 2004. Un projet du DAAD mené avec l’université de Rostock en 2001 a constitué le point de départ de cette coopération, avec la participation de nombreux anciens étudiants et décideurs venus de presque tout le monde arabe. En 2004, une conférence sur l’environnement a été organisée en Tunisie et a rassemblé plus de 400 participants, en collaboration avec l’association des anciens étudiants. Depuis, l’université de Rostock soutient encore régulièrement des activités. La coopération avec les pays de la région MENA a donc une longue histoire.
En 2016, l’université de Rostock a reçu une demande du bureau de la GIZ en Algérie pour participer à la création d’un master en Gestion des déchets et des flux de matières dans les universités de Blida et de Constantine. Une délégation des deux universités algériennes nous a rendu visite pour découvrir l’université de Rostock et son fonctionnement. D’autres partenaires universitaires et différentes entreprises ont participé à la mise en œuvre de ce projet sur le terrain. Les cours magistraux ont eu lieu à Blida et à Constantine. Les cours dispensés par les enseignants et les experts allemands ont réuni les étudiants des deux universités, afin de leur permettre de faire connaissance avec les enseignants et experts, et de tirer pleinement parti des échanges avec ces derniers.
Étudiants et enseignants du 1er master en Gestion des déchets et des flux de matières des universités de Blida et Constantine (février 2018). Les étudiants désormais diplômés travaillent aujourd’hui dans différentes institutions nationales et internationales, ou pour des entreprises privées.
Comment percevez-vous les modèles d’économie circulaire à l’œuvre au Maghreb ? Quelle contribution les universités peuvent-elles apporter, et où l’intervention d’autres acteurs serait-elle nécessaire ?
Les États du Maghreb ont beaucoup de retard à rattraper en matière d’économie circulaire. Bien que tous les États aient créé des ministères de l’Environnement depuis plus de 20 ans, environ 90 à 95 % des déchets finissent encore aujourd’hui dans des décharges. Le recyclage (environ 5 à 10 %) est effectué par le secteur informel. Tous les pays ont besoin de lois et d’autorités chargées de les faire appliquer, mais la plupart ne disposent pas d’un personnel suffisamment qualifié disposant du savoir-faire et de l’expérience pratique nécessaires. Comme il n’existe pratiquement pas de cadre légal et financier durable, le secteur privé national et international a du mal à s’établir dans ces pays. Malheureusement, les projets ne sont souvent planifiés que pour de courtes périodes. En Allemagne, le chiffre d’affaires de l’économie circulaire s’élève à environ 70 milliards d’euros/an, un chiffre qui va augmenter grâce à l’amélioration et à l’optimisation des lois.
Depuis plusieurs années, les universités se positionnent en tant que piliers du développement de l’économie circulaire dans les pays de la région MENA. Nous sommes très heureux que cette coopération avec nos partenaires s’avère fructueuse. Les universités jouent un rôle important pour la formation dans les domaines de la politique, l’administration, la science et l’économie, et dans la mise à disposition de professionnels qualifiés. Mais les universités ont également besoin de beaucoup de soutien pour pouvoir offrir la formation théorique et pratique nécessaire. Il y a un besoin de personnel qualifié, de savoir-faire et de laboratoires pour la formation pratique. Il s’agit de mettre cela en place en concertation et en collaboration avec les institutions publiques nationales et locales, ainsi qu’avec le secteur privé. Depuis plusieurs années, notre stratégie se focalise sur les étudiants de la région MENA, pour que ceux-ci se penchent sur les problèmes locaux de gestion des déchets et élaborent des solutions. Un projet de la GIZ (2017-2020) en Jordanie visant à renforcer le rôle des universités dans la gestion des déchets en est un bon exemple : 15 mémoires de master ont traité des problèmes locaux tels que le compostage, la valorisation du gaz de décharge, le recyclage, l’intégration du secteur informel, l’analyse du tri, etc.
Il est recommandé aux universités des pays du Maghreb de faire participer les décideurs politiques et le secteur privé à la formation universitaire, afin de planifier et de réaliser des travaux universitaires en coopération avec ces derniers. Cela permet d’élaborer des solutions locales aux problèmes de gestion des déchets, tout en donnant l’opportunité aux étudiants d’acquérir une expérience pratique. Les enseignants universitaires et les chercheurs peuvent par exemple réutiliser ces travaux dans des publications scientifiques.
Dans quelle mesure des projets comme l’Académie du Maghreb, qui réunit des jeunes chercheurs des pays du Maghreb, peuvent-ils sensibiliser au thème de la gestion des déchets et contribuer à développer des solutions ?
C’est une très bonne idée de réunir des jeunes scientifiques spécialisés dans l’économie circulaire. Dans le cadre du projet PREVENT “German-MENA university network for waste management and circular economy”, nous avons réuni des étudiants, des professeurs d’université ainsi que d’autres groupes cibles et organisé des cours magistraux. A cet égard, il est important d’intégrer les décideurs afin que les projets puissent se réaliser de manière concrète. Dans le domaine de la gestion des déchets, il existe de nombreux projets qui peuvent être réalisés par de petites entreprises, en collaboration avec les communes. C’est là que les jeunes scientifiques spécialisés dans l’économie circulaire peuvent jouer un rôle important.
Nous souffrons effectivement d’un problème : nous formons des étudiants en économie circulaire dans la région MENA, mais ils ne trouvent pas d’emploi après leurs études. Le problème vient du fait que ces pays ne disposent pas de lois sur l’économie circulaire, et que la pression exercée sur les institutions politiques et les municipalités n’est pas suffisante. Les jeunes chercheurs doivent d’abord contribuer à faire évoluer les dynamiques locales, et à renforcer la pression sur les politiques.